Les jeux olympiques sont sans doute l’un des événements les plus consensuels de la planète. Tous les 2 ans, jeux d’hiver ou jeux d’été ont vocation à faire battre les coeurs de l’humanité à l’unisson. Rien n’est trop beau, rien n’est trop grand, rien n’est trop grandiloquent. Pendant deux semaines, les nations de la planète s’affrontent sur le stade dans une compétition « fraternelle » où elles envoient leurs meilleur.e.s champion.ne.s. pour ramener gloire personnelle et fierté nationale.
Hubris urbanistique
Mais les jeux ont une dimension plus ténébreuse. Une fois la fête terminée, il reste un paquet de factures à régler. A Sotchi par exemple, deux mois après la fin des 22ème olympiades d’hiver, est une ville fantôme. Non seulement l’ensemble des installations n’ont pas été construites – de nombreuses habitations n’ont jamais été terminées à temps, mais la ville est désormais déserte. Sotchi, station balnéaire russe sur les rives de la Mer Noire, est en fait une création récente, fondée au cours du XIXe siècle. En 1912, alors qu’elle avait déjà amorcé sa transformation en ville de loisir, elle comptait à peine 10 000 habitants. Capturée par l’armée Rouge en 1920, elle doit son développement à l’ère soviétique. L’attribution des jeux de 2014 a surtout été l’occasion pour l’état russe d’y injecter plusieurs dizaines de milliards de dollars pour remettre ses infrastructures à niveau.
Seulement, ces investissements ont eu pour conséquence malheureuse de chasser une partie de sa population pour faire de la place aux installations nécessaires à l’événement planétaire. Relégués dans des logements vétustes, parfois chassés sans indemnités de leur maison, les habitants de Sotchi vivent dans les interstices d’une ville qui n’est plus la leur. Une ville internationale qui a été depuis désertée par les invités olympiques.
Plus grave encore, Sotchi est localisée dans une région russe très instable, située à quelques kilomètres seulement de la frontière avec l’Abkhazie, une région théoriquement intégrée à la Géorgie mais qui a demandé son indépendance au prix d’une courte guerre qui n’a rien réglé sur le fond. La région est aussi traversée par les tensions ossètes, tchétchènes, entre arméniens et azéris. Le Caucase n’est pas le coin de la planète le plus stable ni le plus sûr. Difficile dès lors de faire de Sotchi la principale ville d’une nouvelle Côte d’Azur haut de gamme et ouverte au monde. Et les investissements russes à Sotchi risquent fort de connaitre le destin de nombreuses constructions sorties de terre à l’occasion d’olympiades passées : promises à un destin brillant, elles pourrissent en réalité dans l’indifférence générale, sauf pour les pouvoirs publics qui les paient pendant des années.
C’est le cas de l’état grec, par exemple. Les jeux olympiques d’Athènes en 2004 ont entrainé un usage excessif de financements publics que le pays n’a pas fini de payer, au sens propre comme au sens figuré. Le pays fondateur des jeux olympiques, vexé voire offensé par l’attribution des jeux du centenaire à Coca City, n’a reculé devant aucune dépense pour faire de cet événement une fête fastueuse. Installations flambant neuves, autoroutes, nouvel aéroport, nouveau métro, la capitale grecque a été gâtée.
Cela s’est fait au prix d’une débauche financière dans un pays dont les comptes publics étaient déjà truqués. La Grèce a beaucoup dépensé sans réfléchir à faire fructifier ces investissements colossaux. Et Athènes à subi de manière massive la fuite des touristes avant et pendant les jeux, fuite qui n’a pas été compensé l’année suivante par un regain d’intérêt.
Sotchi et Athènes ne sont pas des exemples isolés. Nous l’avons oublié mais Sarajevo fut ville olympique en 1984. Moins de 10 ans après, le stade olympique était devenu un cimetière. Les installations dans lesquelles la Yougoslavie avait tant investi sont devenues les ruines d’un pays fracassé.
Les athlètes sacrifiés.
Mais les villes olympiques ne sont les seules à devoir payer une facture élevée. Les femmes et les hommes, les champions olympiques ont, eux aussi, des lendemains difficiles, une fois la fête finie. Personne ne devient champion olympique par hazard et la montée sur le podium vient couronner une vie consacrée à une activité sportive, parfois au détriment de tout le reste. Les athlètes ont pour la plupart, dès leur plus jeune âge, rythmé leur vie par des entrainements intensifs quotidiens. Vivant en marge de leurs camarades d’école, le vie est tout entière focalisée sur un objectif unique : arriver au top.
Ce top, cet apex qu’ils visent est, dans toutes les disciplines olympiques, la plus haute marche du podium. L’énergie qu’ils vont mettre pour l’atteindre constitue l’essence même de la fascination que les J.O. exercent sur le public. Le succès – ou l’échec – de ces jeunes femmes et hommes sont les deux raisons de l’immense popularité des compétitions olympiques. Cette même popularité est le moteur des investissements publicitaires des grandes multinationales comme Coca-Cola.
Que se passe-t-il pour les athlètes une fois la fête terminée. Que les médailles aient été glanées ou qu’elles soient restées hors de portée, le destin de ces sportifs et sportives et à peu près le même. Après une courte période de gloire, ils retombent dans un anonymat et un quotidien dépourvu de tout but. En effet, les disciplines qui permettent encore de concourir lors de plusieurs olympiades se font toujours plus rares. La dureté des préparations, l’intensité des compétitions sont difficiles à tenir pour quatre années supplémentaires une fois qu’on est passé dans le grand bain olympique.
Prenez Ian Thorpe. Son statut de quintuple champion olympique et ses onze médailles de champions du monde, Ian Thorpe est sans doute le plus grand athlète australien. De plus, il a gagné son or olympique chez lui, à Sidney en 2000. Ian Thorpe au sortir des jeux est un dieu vivant dans son pays natal. Il renonce à participer aux J.O. suivants, arguant d’un manque de motivation. Après un retour raté pour les jeux de Londres en 2012, Ian Thorpe finira par rendre public une vie marquée par la dépression, l’addiction à l’alcool et la tentation du suicide.
Prenez Laure Manaudou. Après la gloire athénienne, sa vie bascule dans un certain chaos marqué par un changement d’entraineur, un histoire amoureuse rocambolesque et marquée par le geste sordide de son compagnon d’alors et de multiples désillusions sportives à Pékin puis à Londres.
Prenez Greg Louganis et l’impact qu’ont eu sur sa vie la révélation de son homosexualité couplé à sa séropositivité dans les années qui ont suivi les J.O. de Séoul, notamment la désertion de ses sponsors à l’exception de Speedo. Prenez Marie-JoséPerec adulée à Atlanta, lynchée à Sidney. Prenez Tom Daley, pourchassé sans cesse, sommé de s’expliquer encore et encore sur son orientation sexuelle.
Les Jeux olympiques sont-ils des événements planétaires faisant la promotion de valeurs de solidarité et de dépassement de soi ? Sans aucun doute. L’idéal olympique est-il toujours digne d’être défendu ? Bien sûr. Cependant, les J.O. ont une dimension de jeux du cirque et sont minés par l’argent-roi et la corruption depuis les présidences Samaranch et Rogge. Le nouveau président du C.I.O., l’ancien sportif et actuel avocat et homme d’affaire allemand Thomas Bach, est lui, déjà accusé de mêler business et sport. Saura-t-il amorcer un virage vers une éthique retrouvée ? En a-t-il seulement envie ?
Les pays dépensent des milliards de dollars pour héberger les jeux olympiques. Les sponsors déboursent eux aussi des milliards de dollars en sponsoring et publicités pour que leur image soit associée à celle des jeux. Mais une fois que la caravane s’est éloignée, nous ne nous intéressons pas aux lieux et aux gens. Ils sont la face sombre des jeux olympiques modernes. Ils sont ceux qui paient les vilaines factures du lendemain, les notes qu’on apporte une fois que les lumières du show TV se sont éteintes.
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