Ce week end, la réforme du mariage civil menée par Mme Taubira est revenue sous les feux de l’actualité. Une fois de plus. Pour beaucoup de gens, c’est une fois de trop. Les LGBT en ont ras le bol d’être, une fois de plus, pointés du doigts comme de vilains petits monstres qui « abiment le mariage » éternel et sacré. Les français sont, eux, en train d’adopter la réforme qui recueille désormais l’assentiment d’une majorité d’entre eux, y compris sur l’adoption.
Serait-il temps de passer à autre chose alors, comme le pensent tant de gens ? Idéalement oui.
Idéalement, je suis d’accord avec Didier Lestrade qui publie une tribune dans les pages de Slate pour expliquer que cette fixation sert des fins politiques. Rien de tel qu’un bon fight sur un sujet sociétal pour distraire un pays des difficultés dans lequel il se débat. Ca occupe et ça permet aussi à nos dirigeants de trouver les bonnes solutions aux problèmes sans avoir en plus à les expliquer et à les défendre contre une opinion publique rétive. Dans le meilleur des cas.
Sauf que nous ne sommes pas dans un monde idéal. Passer à autre chose ? Mais le pays compte un paquet de gens qui ne veulent pas ! Ils sont peut être minoritaires mais ils sont déterminés. Tellement déterminés d’ailleurs qu’une partie d’entre eux ont monté un groupe au sein de l’UMP, un groupe assez influent pour réussir une performance jusque là refusée par un ou plusieurs des candidats à la présidence de ce parti : les réunir tous les trois dans un même meeting pour qu’ils expliquent successivement leur point de vue sur la vie, l’amour, l’univers, la mort et bien sûr, la réforme du mariage civil.
Leur détermination d’ailleurs ne s’arrête pas là : les militants de Sens Commun ont réussi l’exploit rare de déstabiliser un ancien président de la République, un homme politique dont les plus de trente ans de carrière politique lui permettent normalement de conquérir les coeurs d’une foule lors d’un meeting. Or, ce samedi dernier, Nicolas Sarkozy, loin de pouvoir se faire entendre de militants de son propre parti politique, a du leur accorder – visiblement à son corps défendant – le concept qu’ils attendaient de lui : l’abrogation de la réforme du mariage civil conduite par Mme Taubira.
Dès lors, difficile, voire impossible de faire comme si ils n’existaient pas. Difficile voire impossible de ne pas voir toutes les actions que les opposants à la réforme du mariage civil montent afin de se faire entendre et de convaincre des responsables politiques de promettre une abrogation de la loi quand ils seront élus.
Difficile, non, impossible lorsqu’on est journaliste de ne pas rapporter ces faits. Didier, tu reproches à des journalistes et à des médias – LGBT ou pas, la question n’est pas là – de faire leur travail ? Mais ils ne font que leur job lorsqu’ils rendent compte à leur lectorat de ce qui se passe et de la manière dont s’est déroulé le meeting de Sens Commun samedi ! Osons le nom d’ailleurs, celui que tu n’as pas envie de prononcer: Yagg. Yagg, média LGBT a eu non seulement raison de faire ce compte rendu, mais il a raison de couvrir l’ensemble des réactions des politiques ou des associations LGBT. C’est son travail et c’est ce que son lectorat attend de lui. Mieux, alors que le site étudie son passage en mode freemium, son équipe de journalistes va de plus en plus devoir faire le choix de l’information car, soyons honnêtes, peu de gens paient pour lire des activistes, en tout cas pas assez pour faire vivre une rédaction.
Je sais que tu n’es pas le seul à être exaspéré de cette couverture mais un média ne fait pas de RP. Le journalisme, c’est faire de l’info. Les lobbyistes le savent parfaitement. Leur travail est de créer l’événement qui fera du bruit, suffisamment de bruit pour susciter l’intérêt d’un auditoire et devenir par là une histoire, donc une info. Un journaliste rend compte de l’info. Il doit cependant le faire en plaçant cette information dans son contexte, en enrichissant le produit des communicants de façon à ce que le lecteur puisse se forger une opinion. Par lui même.
Les médias sont dans leur rôle lorsqu’ils couvrent la prise de position de Nicolas Sarkozy sur la réforme Taubira. Cela ne te plait pas. Cela ne plait pas à beaucoup de gens, cela ne me plait pas à titre personnel. Mais la guerre qui reprend entre Israéliens et palestiniens ne me plait pas non plus, pas plus qu’elle ne va plaire à beaucoup de gens. Pourtant, elle va devoir être couverte par les journalistes.
Ce n’est pas en détournant les yeux d’une chose qu’elle cesse d’exister. Si les opposants à la réforme du mariage civil doivent être combattus, ils le seront par d’autres que des journalistes. Ils le seront par des activistes, des militants, des communicants engagés et doués, des associations de citoyens.
Nous, journalistes, rendrons compte de cela, du mieux que nous pourrons. C’est notre métier. Nous sommes des observateurs, pas des justiciers.
We do the news.
Article très juste. Merci.