Le 1er décembre, comme tous les 1er décembre, on parle un peu SIDA. On fait semblant de se mobiliser, on fait semblant de s’intéresser, on fait semblant de croire encore que c’est important. Un petit rassemblement auquel on participe vite fait – ou auquel on envoie un représentant, un petit communiqué de presse aussi vide que les mots employés sont ronflants et puis pouf, on referme le dossier pour un an.
C’est vrai quoi, c’est le premier jour de décembre, il commence à faire froid. Aller se geler le cul dehors pour une manif’ de plus ? C’est pas la saison. Et puis, y’a le téléthon qui approche et ça, c’est médiatiquement important. Et bien sûr, Naël ! Il va falloir penser aux guirlandes, aux jolies vitrines. Aux boites de chocolats pour nos « anciens ». Préparer les speeches de la nouvelle année, les voeux à tout ce que la planète (enfin la chose qu’on dirige) compte de gens importants.
Yep, le 1er décembre pour nos élus, c’est de plus en plus la corvée. Ca fait des années en fait, que c’est la corvée, si on y réfléchit bien. Le SIDA, c’est plus aussi porteur qu’il y a 25 ans.
A l’époque, les victimes étaient jeunes, innombrables et surtout, on les connaissait de près. On les croisait dans les soirées « branchées » qui faisaient vibrer le Paris du second septennat de François Mitterrand. On avait quelques semaines – ou quelques mois après – le frisson d’apprendre leur disparition. Le virus faisait frémir une partie de la classe politique, cette élite qui avait perdu depuis longtemps l’habitude de croiser la maladie et la mort dans son entourage. On commençait à s’occuper du SIDA comme nos rois touchaient les écrouelles : sans trop y croire mais avec une sacrée conviction affichée devant le peuple les médias. Ca faisait de belles images à la télé, enfin, on pensait.
Et puis, ils criaient fort. Ils hurlaient leur rage de mourir à 20 ans, ils hurlaient leur rage d’être laissés seuls face à ce fléau, ils hurlaient leur tristesse de voir leurs presque-vieux amis morts être remplacés par leurs nouveaux-et-bientôt-morts camarades. Cette tragédie grecque sous les fenêtres des salons de la République, c’était … épique. Et parfois tellement artistique.
Et puis les trithérapies sont arrivées. Les décès en masse ont diminué, la faucheuse s’est faite plus discrète. Au lieu de moissonner en paquets de douze, elle a continué, plus tranquillement. Moins, sans doute, mais c’était – c’est encore – l’assurance d’une moisson plus durable. Le SIDA, on ne l’avait pas vaincu, on le tenait simplement à bout de bras. C’était déjà une sacrée victoire.
Cependant, pourquoi nous sommes nous arrêtés là ? Pourquoi la prévention, autrefois la seule ligne de défense, est-elle devenue le but ultime à atteindre, garder et préserver ? Avons nous renoncé à vaincre le SIDA ? Que s’est-il passé ? Ces questions sont légitimes lorsqu’une étude nous explique qu’un étudiant français sur trois n’utilise jamais de capote.
La cause est devenue moins criante, moins immédiate, moins terrifiante. En un mot politique, moins sexy. « Le SIDA ? Bah, y’a des traitements maintenant ! » Et puis ces grosses pilules se sont faites plus discrètes, on a bien combattu leurs effets secondaires. Et puis, c’est tout de même un truc de pédés. On les aime bien dans les soirées hype, mais de là à les avoir comme voisins … ou comme parents d’élèves dans les classes de nos enfants ?
Il y a eu le 11 septembre, la guerre en Irak, les émeutes dans les banlieues, le terrorisme, les islamistes, les sub-rimes, la crise, les élections, le 2.0, le changement climatique, le chômage le « mariage-pour-tous » Frigide-Barjot-Nicolas-Sarkozy-Julie-Gayet-Marine-Le-Pen …. Tant de choses se sont passées depuis. Le SIDA? So nineties !
So oublié aussi. Certes, on a un monument à La Villette. J’avoue ne même pas savoir où il est ni à quoi il ressemble. Comme à peu près tout le monde. Certes, on a le 1er décembre. Quelques pins défraichis qu’on ressort quand on se souvient du tiroir où on les a rangé il y a un an … ou deux.
Le SIDA est redevenu silencieux. Impensé. Innommé. Et c’est logique.
Nous avons dans nos villes des rues, des artères majeures, parfois des quartiers entiers qui portent le nom de femmes et d’hommes quo ont donné leur vie pour des causes. Beaucoup sont des saints de l’église catholique. Certains sont des héros, telle Jeanne d’Arc, tel Victor Hugo. Nous nous sommes donné des repères, des balises dans nos mémoires. Nous n’avons pas oublié, nous n’avons pas accepté d’oublier.
Que nous reste-t-il de nos morts du SIDA ? Quelques couvertures. Des archives LGBT sans aucune structure pour s’en occuper. Des photos jaunies. Deux ou trois noms. Et des activistes héroïques et vieillissants, vivant avec leurs souvenirs et leurs traitements.
Je sais, je suis un grand naïf mais, Madame Hidalgo, quand aurons nous une rue Cleews Vellay à Paris ?
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