Paris, dimanche 11 janvier 2015. Un dimanche d’hiver, un dimanche parisien, un dimanche unique. La conclusion de cette semaine qui a connu une série d’attentats sanglants a été hors de l’ordinaire. Le peuple français s’est donné rendez vous à Répu pour dire son émotion, son refus du terrorisme, de la peur et pour enfin se retrouver ensemble, recommencer à vivre.
Ce rassemblement a certes été organisé (un peu) par des politiques. Ils se sont écharpés sur le comment faire, qui inviter, qui bannir. Ils se sont écharpés sur la l’opportunité de bannir, ils se sont écharpés sur la nécessité d’un carton d’invitation. Sur la couleur, la forme, l’épaisseur, la déco dudit carton.
Ce rassemblement a été relayé par les associations. les assoces citoyennes, les assoces LGBT, les associations anti-mariage, les assoces de boulistes. Les militants se sont interrogés sur l’opportunité de venir avec des banderoles. Ils ont débattu de l’intérêt d’avoir un slogan. Ils se sont écharpés sur la la nécessité de venir alors que d’autres, les adversaires, les ennemis, les pas-bien venaient aussi.
Les militants politiques ont râlé. Tel chef d’état vient, vous vous rendez compte ? Il vient défiler à Paris après la tuerie de Charlie Hebdo alors qu’il réprime la presse dans son pays ! Benyamin Netanyahou à coté de Mahmoud Abbas ? mais vous n’y pensez pas ! Et le président ukrainien Petro Porochenko et le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov !
« Si je ne suis pas invité, je ne viens pas ». « Si il est là, j’y vais pas. « Si celui là est devant moi, je ne défile pas derrière »…
Comment s’en sortir dans toute cette confusion ? Peur de la récupération politique, peur de défiler à coté d’une bannière jugée infâme, peur de croiser celui ou celle qu’on combat habituellement. Pas envie de croiser un sweat LMPT pour certains, un rainbow flag pour d’autres. Impossible pour un partisan du FN de marcher à cote d’un sympathisant NPA.
J’étais dans les rues de Paris cet après midi. Le genou un peu beaucoup en vrac mais je suis allé voir, renifler, sentir l’ambiance. Voir comment les gens réagissaient. Voir combien on était.
Je suis bien sûr loin d’avoir tout vu. Arrivé boulevard de Magenta, je me suis retrouvé à piétiner avec des milliers d’autres. Des jeunes des vieux. Des tout seuls, des en bandes, des entre amis quinquas, des en familles, nucléaires, monoparentales ou recomposées. Ou multigénérationnelles. Des grands, des petits, des femmes, des hommes. Des en joli couple de lesbiennes devant moi. Des de toutes les confessions, visiblement. Des sur leurs balcons.
Nous avons tous fait sur sur place. Nous avions Répu en ligne de mire. Si près mais encore si loin. Régulièrement, des vagues d’applaudissements ou de cris avançaient depuis cette place inaccessible. La vague passait sur nous, nous la transmettions au gens derrière. Une sorte de ola mais sans la ola, comme un cycle qui venait balayer la foule à un rythme lent mais entêtant.
Entre deux vagues, les gens parlaient entre eux. Ils discutaient de tout et de rien, de leur week-end, de leur jeunesse, du dernier film vu. De temps en temps, un mot sur Charlie Hebdo. Certains enfants et ados faisaient la lecture à haute voix de toutes les pancartes qu’ils avaient sous les yeux. Pas de stress, pas de peur. Pas de colère, pas d’impatience. Les panonceaux que j’ai vus n’avaient pas de slogan politique. Ni critique ni louange du pouvoir ou de l’opposition. Il y avait des drapeaux français. J’ai aussi vu un drapeau brésilien. Un polonais, à moins que ce n’ait été un monégasque. D’autres drapeaux que je n’ai pas reconnus.
Ce dimanche 11 janvier 2015, les parisiens, les banlieusards, les touristes, les provinciaux étaient en balade dans Paris. Tou.te.s convergeaient vers Répu. Pas pour obéir à une injonction, visiblement. Pas non plus pour suivre un mot d’ordre politique. Pas enfin pour suivre le groupe de chef d’états et de gouvernements en tête de cortège. En fait, dans leur cortège bien à eux.
Les marcheurs n’ont pas marché derrière des dictateurs, des politiques, des mots d’ordre. Ils ont rappelé que les libertés de conscience, d’opinion, d’expression et de la presse ne se démolissent pas si facilement. Ils l’ont rappelé à ces dirigeants politiques mondiaux.
En France, la récupération politique d’un tel mouvement ne sera pas facile, si tant est qu’elle soit possible. Les militants des droits de l’homme d’une cinquantaine de pays ont désormais des images de leurs dirigeants marchant pour réaffirmer leur attachement aux libertés civiques. Ils ne l’oublieront pas et sauront le rappeler, si nécessaire. Cette balade parisienne dominicale a le potentiel pour peser sur beaucoup d’orientations politiques, ici et ailleurs.
Je suis parti sans avoir atteint la place de la République et encore moins Nation. Je n’ai pas été le seul d’ailleurs. Cela n’avait visiblement pas d’importance. Les gens ne venaient pas défiler, ils venaient pour être là. Marquer le coup. Avant de repartir sur les injonctions d’un genou qui n’avait plus l’âme à piétiner, j’ai vu un dernier mot d’ordre, assez politique celui-là. « Non au fascisme. » il était écrit sur une feuille de papier collé sur un dos. La personne s’est retournée, c’était une femme, elle avait l’âge de son slogan. Elle était calme, détendue. Loin de la politique, c’était sa manière à elle de dire « Liberté, Liberté Chérie ».
D’autres disaient juste « Je suis Charlie« .