C’est un sujet qui me trotte dans la tête depuis pas mal de temps : écrire sur les X-Men. Logique, en bon post-geek, je suis accro à la meilleure série Marvel depuis mon enfance. Fin des années 70, j’ai commencé à dévorer chaque trimestre la publication française (Special Strange à l’époque, des éditions LUG) qui me plongeait dans les aventures de ce groupe de jeunes adultes / post-teenagers, des super-héros mutants qui sauvaient un monde qui les méprisait. Je n’ai pas quitté cet univers depuis: autant dire que qu’entre les X-Men et moi, c’est une longue, longue très longue histoire. Avec des hauts, avec des bas, avec des périodes où on se faisait la gueule voire on se tournait le dos. Mais, j’y suis toujours revenu.
Ecrire donc sur les X-Men. Ok, mais sous quel angle ? L’évidence est là: les X-Men, comme presque tous les comics américains, ont été créés pour des enfants, ado ou adultes (oui bon je sais) qui ont certaines caractéristiques en commun, dont une qui m’intéresse : ce sont des geeks. Non pas le geek romantique, informaticien, ce presque surhomme des temps contemporains que nous a forgé 40 ans de révolution numérique, non, le geek des origines. Le crétin de la cour d’école, le boutonneux-pas-beau dont on se moque, le chétif-qui-ne-ressemble-à-rien, le pas-sportif, le mal-à-l’aise avec les filles. Le geek de base quoi, la tâche, le boloss.
Et oui, les comics qui présentent des super-héros (avec ou sans super pouvoirs) n’ont pas été créés pour les premiers de la classe ou les balaises en sport. Eux n’ont aucun besoin de modèles à 10 cents qu’on trouve dans ces magazines cheap que sont les comics. Les premiers de la classe regardent vers le haut, le monde de l’élite, les banquiers, les patrons d’entreprises, les politiques. Les balaises en sport ont les athlètes et sportifs comme modèles. Et puis, rapidement, ils deviennent eux même des modèles si leur physique avantageux a le bonheur de disposer de surcroit d’un visage agréable voire à tomber par terre.
Non, les comics, c’est fait à la base pour des pinpins comme moi : des pas-sûrs-d’eux-mêmes qui cherchent dans un monde imaginaire de quoi les rassurer, leur dire qu’ils ne sont pas seuls et que, bien sûr ils trouveront leur voie. C’est un art dans lequel excellent les comics depuis le début.
Superman et Batman naissent dans les années 30 sous les plumes et les crayons de quatre hommes. Les deux papas de Superman ont moins de vingt ans, les deux papas de Batman ont moins de vingt-cinq ans. La crise ravage alors le pays, jetant des millions d’américains dans la pauvreté. Les enfants n’ont quasiment aucun moyens financiers sauf à gagner quelques cents et les Comic books sont des périodiques bon marché, imprimé sur du papier médiocre avec des moyens techniques limités. La mauvaise qualité sera compensée par la fascination exercée par les héros.
Dans ce pays jeune que sont les USA, un pays qui se forme en absorbant des vagues successives d’immigration, cette littérature jeunesse participe à la construction d’une identité et d’une culture commune. Elle passe les idéaux de justice, du bien plutôt que le mal, du respect de l’autre, de l’entraide et du coup de main que nous devons tous apporter aux plus faibles et moins chanceux que nous.
Quand Marvel lance les X-Men au tout début des années soixante, la première génération de gamins accros aux comics a déjà bien grandi. Ils sont quarantenaires pour certains et leurs enfants sont en passe eux même de devenir adultes. L’équipe de super-héros du professeur Xavier débarque donc dans un monde aux codes bien établis. pourtant, elle va déconstruire et redéfinir profondément cet univers.
Tout d’abord, ces ados ont des pouvoirs mais ils ne les ont pas eu par accident ou suite à une expérience scientifique ou militaire comme Spiderman, Captain America ou les Fantastic Four. Ils ne sont pas non plus des extra-terrestres mais des gamins comme vous et moi. Simplement, ils sont nés différents.
Ils ont aussi la volonté d’utiliser ces pouvoirs pour le bien du plus grand nombre et ce, malgré la peur, le mépris voire la haine qu’ils suscitent. Ils sont nés différents et pour cela, ils sont craints et rejetés, non pas pour leurs actions, mais pour ce qu’ils sont.
Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Nous sommes au début des années soixante. Par le biais des X-Men, Marvel prend sans le dire une position politique forte : cette maison d’édition jeunesse (comme on dirait ici) soutient la lutte pour les droits civiques. Ses jeunes héros sont des membres d’une minorité crainte mais qui ne veut rien de mal aux autres, bien au contraire. La série originale va durer de 1963 à 1970, date à laquelle Marvel l’interrompt. Martin Luther King est mort en 1968 mais la ségrégation raciale a du plomb dans l’aile, d’un point de vue légal. L’époque est passée à autre chose.
Le seconde équipe voit le jour cinq ans plus tard, en 1975. Cosmopolite, elle intègre un russe (un soviétique !), un japonais (un jap’), une femme noire africaine, un irlandais roux et un allemand au physique démoniaque. Marvel est visiblement bien décidé à reprendre la culture de son lectorat à rebrousse-poil en lui présentant des héros originaires de pays que la nation américaine méprise, a combattu ou combat. Ce redémarrage osé sera pourtant le bon. Sous la plume de Chris Claremont et les crayons de John Byrne, les X-Men, après avoir adopté les tenues très disco créées par Dave Cockrum (un génie du design), vont entrer dans la légende. Elle porte un nom : la Saga du Phénix. L’histoire connait le reste.
Pourquoi donc cette série a-t-elle une si grande influence, au point d’être devenue un des marqueurs de la contre-culture geek ? Pourquoi me suis-je à ce point jeté dessus comme un morfale quand j’étais ado et que je l’ai pas laissée tomber une fois devenu adulte ? (Non, la réponse n’est pas que je suis resté ado …)
Les X-Men apprennent le respect de la différence. Cette série monumentale apprend, depuis plus de cinquante ans, à des générations de gamins que c’est ok d’être différent. A un âge où on se transforme physiquement et psychiquement, durant cette adolescence où l’on cherche l’approbation de ses pairs en se fondant dans la masse, à un moment où le moindre poil qui dépasse se fait cruellement bâcher, les X-Men disent que justement, le poil qui dépasse, la peau qui tranche sur l’arrière plan, le coeur qui ne bat pas comme les autres, tout cela peut vous amener à devenir un héros.
Certes, je ne suis pas une quiche : je n’ai rien d’un Warren Worthington III pas plus que je ne suis Max Eisenhardt (dommage). Le super-héros existe dans les pages des comics, et uniquement dans les pages des comics. mais je peux, à ma manière, être un (petit) héros, juste en assumant qui je suis. Cela ne me met pas à l’abri des énormes conneries (le personnage Jean Grey / Phoenix nous apprend cela) mais cela m’autorise à vivre libre.
A quel point les X-Men ont-ils joué un rôle dans l’acceptation de ma vie personnelle ? Marvel a-t-il joué un petit kekchose dans mon coming-out ? Allez savoir … Si cette participation était réelle, ce serait quelque peu ironique tellement ce studio a eu du mal à créer des personnages LGBT dans ses séries, malgré l’envie évidente de ses créateurs scénaristes et dessinateurs.
Ce que je sais, c’est que les comics américains en général et les X-Men en particulier m’ont appris deux choses : tout d’abord, nous ne sommes pas tous des gens exceptionnels. mais, tout misfits que nous sommes, nous pouvons être fiers de ce que nous sommes, car nous sommes uniques. Combien, dans ma génération et les suivantes ont appris cette leçon grâce aux aventures de la plus grande équipe de super-héros de l’univers Marvel ? Je me le demande. Mais j’ai l’intuition que les enfants des X-Men se comptent par millions.